jeudi 15 novembre 2007

Frénétique dévotion

Ils sont des milliers, agenouillés, le regard absent, la tête baissée. Certains récitent des cantiques, d’autres expriment leur amour par des gestes simples, lents mais précis, s’adressant à la photo de celui qui dans leur cœur incarne la fierté d’être polonais. Devenue une icône, la photo de Jean-Paul II trône au premier étage de sa résidence cracovienne, à l’endroit même où du temps de son pontificat il s’adressait à ses fidèles, qui sont aussi ses compatriotes. Les cierges brûlent et s’accumulent sur le trottoir en face de sa fenêtre, pour former un parterre flamboyant sous le cadre désormais chéri et vénéré. La place vient rapidement à manquer sous la foule qui s’épaissit. Le planty – la promenade qui ceinture la place du marché, l’ancienne enceinte de la ville - se garnit à son tour de son lot de lampions. Étrange atmosphère que ces fantômes silencieux emmitouflés par -10 degrés et déambulant au milieu des lumignons.
Je dois admettre, bien que n’étant adepte d’aucune croyance, affirmant mon athéisme ardemment, et militant pour une indépendance spirituelle, que la scène à laquelle j’assistais en cette soirée de commémoration de la mort de Jean-Paul II, m’emplissait d’une émotion insaisissable. Pourtant rien ne m’attachait à ce personnage emblématique, son aura m’aura totalement épargnée dans mes recherches spirituelles, enchanté que j'étais sans doute par les préceptes laïcs. Même les moments de doutes existentiels que tout adolescent expérimente au moins une fois, ne m’ont pas amenés jusqu’au propylée. Comment définir cette émotion alors ? La mienne était déconnectée de l’adoration. La disparition de ce personnage, fut-il chef suprême de l’Église catholique et 1er dans le cœur des polonais, n’animait pas en moi une douleur ou une effervescence particulière. Sans partager cette frénésie, je ressentais de la compassion, comme lorsque l’on se trouve associé au malheur des autres. Cette foule silencieuse, ce défilé blafard, ces visages livides et abattus, ces gestes douloureux, toute cette scénographie morne dépassait la commémoration. Quelque chose de plus fort, de plus profond s’ajoutait à cette cérémonie ranimant le souvenir de Jean-Paul II. J’avais le sentiment d'être contraint par un respect éthéré qui émanait cette foule embrasée. Cette expérience fut unique, je n’ai jamais assisté à une telle considération, d’une telle ampleur, pour un personnage national. Il serait réducteur de parler d’admiration ou de vénération, bien que la foi catholique exerce une autorité largement ralliée, je n’avais pas l’impression d’assister à un culte… mais bien à une reconnaissance absolue du peuple polonais pour son paterfamilias, celui à qui les polonais doivent leur identité nationale au même titre que Piłsudski ou Kościuszko.

Aucun commentaire: